Le 51ème cliché de Rosalind Franklin

Comment expliquer la fantastique découverte de la structure de l’ADN par Rosalind Franklin ? C’est la question que je me suis posée lorsque l’on m’a demandé d’intervenir lors de la demi-journée en hommage à l’illustre scientifique à l’occasion de l’inauguration d’un amphi à son nom.

Ici l’objectif était d’appuyer l’hommage, il ne fallait pas simplement expliquer comment fonctionne la diffraction des rayons X mais montrer en quoi l’expérience de Mme Franklin était exceptionnelle. A titre personnel, je tenais également à montrer qu’elle n’a pas du tout eu besoin d’aide pour comprendre la portée de son résultat.

Première étape : mise en évidence du phénomène. La diffraction est un phénomène du quotidien et ce n’est pas très difficile de le mettre en scène. J’ai ainsi attrapé quelques Legos, un pointeur laser et sacrifié un cheveu : une expérience en directe a montré que l’image projetée n’était pas l’ombre d’un cheveu mais que le point rouge devenait une ligne rouge discontinue

Deuxième étape : quelles informations peut-on tirer de ce résultat ? Pour le savoir il faut s’intéresser à l’équation mathématique qui décrit ce phénomène de diffraction. Dans les conférences de vulgarisation j’aime présenter une équation, car cela montre comment les math aide à modéliser le réel et aussi pour dédramatiser. Dans le contexte de cette conférence, l’objectif était aussi de montrer que Rosalind Franklin ne s’est pas contentée d’appuyer sur un bouton. Elle connaissait les maths et donc savaient qu’elle avait besoin d’un cliché qui lui permette d’utiliser ces équations. Ici, devant le public, l’équation m’a permis de calculer le diamètre d’un cheveu.

Troisième étape : A quoi sert de faire une expérience avec un cheveu ? L’expérience du cheveu est facile à mettre en place et comme la lumière est visible le résultat est immédiat. Ceci étant dit, les cheveux, on s’en fiche un peu… J’ai donc montré un autre exemple célèbre de diffraction : la diffraction à travers le voilage d’un rideau. Le motif est alors bien différent : c’est le motif obtenu par une ouverture rectangulaire. Là encore, a-t-on vraiment besoin d’équation pour savoir que le voilage d’un rideau est rectangulaire ? Certainement pas ! En revanche cette expérience nous permet de savoir que ce motif de diffraction est donné par une forme d’ouverture bien spécifique. Ainsi, lorsque l’on regarde la lumière qui se reflète sur l’écran d’un téléphone portable éteint, le motif obtenu nous dit qu’il existe quelque part dans cet écran des ouvertures rectangulaires.

Voilà. Tout est désormais posé : 1- la diffraction c’est le fait qu’un motif projeté dépend des obstacles que rencontrent la lumière, 2- la géométrie du motif projeté dépend de la géométrie de l’obstacle et 3-l’équation nous dit que pour qu’il y ait diffraction il faut que le motif soit du même ordre de grandeur que la longueur d’onde de la lumière : la lumière visible pour un cheveu ou un voile et des rayons X pour l’ADN qui est nanométrique.

La dernière chose à montrer est que ce célèbre motif en « X » obtenu pour l’ADN montre la présence d’une structure double de l’ADN. Pour cela je souhaite faire en direct l’expérience de la diffraction de deux cheveux.

A ce moment-là de la conférence, il se passe quelque chose de très important dans l’amphi. Pour faire cette expérience il est indispensable que le laser passe exactement là où les deux cheveux se croisent… ce qui n’est pas évident avec un montage fait de Lego et de patafix ! Alors j’essaye ; je recommence ; ça ne fonctionne pas ; le temps passe ; j’ai vraiment envie de montrer ce motif à l’assistance mais décidément je n’y arrive pas ; cela marchait pourtant quand j’ai répété ! Allez… une dernière fois parce que sinon je n’aurai pas le temps de terminer.

Tout à coup un tonnerre d’applaudissements s’élève de l’amphi à l’apparition du motif. J’avais réussi. Certes l’expérience avait fonctionné mais là n’était pas le vrai succès, ce que j’avais réussi à faire passer c’était les émotions de la recherche scientifique : l’attente, la frustration et puis tout à coup le succès !

Le fameux cliché porte le numéro 51 car elle a dû faire 50 expériences avant de trouver les bonnes conditions de préparations de l’ADN, les bonnes conditions de diffraction également. Il y a également le temps de développer les clichés qui prenait du temps à cette époque. J’imagine très bien Madame Franklin, dans son labo photo découvrant l’image qui apparait petit à petit. De même que le public dans cet amphi a tout de suite compris que le motif de diffraction en croix était celui que je cherchais bien qu’il ne l’ait jamais observé auparavant, Rosalind Franklin a immédiatement compris qu’elle tenait entre les mains la réponse à la question de savoir quel était la structure de l’ADN.

Epilogue : voici quelques images qui expliquent l’interprétation du cliché 51 par Rosalind Franklin et Maurice Wilkins qui effectuait ses travaux de thèse sous sa direction.